Portrait du libraire Daniel Thierry

Portrait réalisé le 16/04/2018

Portrait de Thierry - Librairie Garin

1948, la famille Garin crée la librairie du même nom dans la ville savoyarde de Chambéry. 70 ans et plusieurs générations de lecteurs plus tard, Thierry Daniel reprend cette enseigne historique dans une ville en pleine mutation, à l'image du métier de libraire. Parole est donnée à celui qui souhaite, selon ses propres dires, "donner à son passage une tonalité joyeuse et exigeante".

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Garin

location_on Boulevard du théatre - 73000 Chambéry

phone 04 79 33 53 64

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Rencontre avec Thierry Daniel

La librairie Garin est une véritable institution à Chambéry. Pouvez-vous nous la présenter ?

Devanture de la librairie Garin en 2018

Devanture de la librairie Garin en 2018 © Chez mon libraire

En 70 ans d'existence, la librairie a connu environ 6 gérants. Jusqu'au milieu des années 90, elle était tenue par la famille Garin. C'est là qu'elle a connu un essor important en constituant un groupe d'une dizaine de magasins implantés dans toute la Savoie, notamment à Albertville, Annecy, Aix les Bains, etc. L'emplacement actuel de la librairie à Chambéry date des années 70 ; il y avait alors aussi une grosse activité papeterie. Le groupe a été vendu dans son ensemble à un nouveau propriétaire dans les années 90 qui, en 10 ans, l'a entièrement morcelé et revendu. En 2006-2007, la librairie actuelle a été vendue à mon prédécesseur, Didier Fantin, qui 10 ans plus tard, me la revendra.

L'histoire fait que la librairie Garin est connue bien au-delà des frontières de la ville, dans tout le Pays de Savoie jusque dans les vallées. Il y a une large audience et un attachement très fort avec trois générations de clients qui sont venus acheter leurs livres ici. Je n'ai donc envisagé à aucun moment de changer de nom, et ma rencontre avec le gérant historique, François Garin qui continue d'ailleurs à fréquenter la librairie, a été un moment déterminant et important pour moi lors de la reprise ; je voulais être certain qu'il accepterait de me laisser utiliser son nom.

Qu'en est-il de la dynamique commerciale de Chambéry ?

La ville de Chambéry est en pleine mutation. Elle comporte deux cœurs de ville, l'un historique dans lequel se situe la librairie, avec le château des Comtes de Savoie, et à proximité directe de la fontaine des Éléphants distante d'à peine 50 mètres, et l'autre commercial et plus récent, dont nous sommes plus éloignés, qui concentre le marché couvert et des grandes enseignes. Chambéry bénéficie d'une image dynamique et très positive. Le tourisme s'y est développé autour de son cœur de ville historique agréable, esthétique, ses monuments, son architecture ... De nombreux espaces ont déjà été rendus aux piétons, et d’autres projets de réaménagement de l’espace public sont en cours. C'est une bonne chose, mais il subsiste un vrai problème d'accessibilité au centre-ville qui pénalise la dynamique commerciale de cette ville. Les temps de concertation, de prises de décision et de travaux sont souvent trop longs, en regard des enjeux de l’équilibre des comptes d’exploitation des commerces indépendants.

Nous rencontrons donc les problématiques de nombreux centres-villes de petite taille : accessibilité et stationnement. La possibilité de pouvoir se garer facilement en périphérie proche et d'accéder aisément au cœur de la ville sont des nécessités auxquelles nous ne répondons pas encore. Des infrastructures sont indispensables pour rendre cela pratique et agréable de venir jusqu'au centre-ville. La mutation est en marche, mais c'est un peu long.

Quelles ont été vos motivations pour reprendre cette librairie en particulier ?

Intérieur de la Librairie Garin en 2018

Différents espaces composent la librairie Garin en 2018 : poche, littérature, sciences humaines, jeunesse... © Chez mon libraire

J'évolue dans les métiers du livre depuis une douzaine d'années à présent. J'y ai fait mes premiers pas à l'âge de 25 ans alors en IUT Métiers du livre à Aix-en-Provence, avec un stage dont je garde un excellent souvenir à la librairie La Préface à Colomiers, à côté de Toulouse. J'ai terminé ma formation puis j'ai occupé mon premier poste pendant plusieurs mois à la Librairie des Trois mages à Marseille, une librairie jeunesse. C'était très formateur car j'avais en quelque sorte « les clefs de la boutique », avec un gérant qui me déléguait beaucoup de choses. C’est à cette époque que j’ai commencé à réfléchir au projet d'avoir ma propre librairie indépendante ; et si cela aurait pu se concrétiser avec la librairie des Trois Mages, je ne me sentais pas encore armé pour le faire. J'ai donc choisi de continuer à travailler en tant que salarié, avec pour objectif de développer mes compétences, notamment en management. Raison pour laquelle j'ai ciblé des chaînes, me disant qu'il serait possible d'évoluer facilement et c'est ainsi que je suis rentré en 2007 chez Decitre, à Lyon, en tant que vendeur dans le magasin de la Part-Dieu. Avant d’évoluer comme directeur adjoint puis directeur sur le magasin de Chambéry. Ces années m’ont permis d’affirmer chez moi une certaine vision du métier de libraire, qui différait de celle du groupe dans lequel j’étais, et donc l’envie de revenir vers la librairie indépendante. Mais en tant qu’entrepreneur.

Je ne souhaitais pas investir dans une trop petite structure par goût du travail en équipe, mais aussi pour ne pas être lié à un seul espace duquel je ne pourrais m’éloigner. J’ai un fort besoin de mouvement. Et je considère que les libraires de Garin incarnent bien mieux que moi au quotidien les assortiments qui composent notre espace. Malgré tout, dans la configuration actuelle, où l'administration, la comptabilité et la réception sont localisées dans un entrepôt détaché de la librairie, dans lequel je passe pas mal de temps sur le volet administratif, le lien direct avec les clients de la librairie, pas suffisant, me manquent cruellement.

Cela vous a demandé combien de temps, et avez-vous rencontré des difficultés lors de la mise en œuvre de ce projet ?

Il m'a fallu deux ans entre la décision de me lancer, sans savoir encore que ce serait Garin, et la réalisation de mon projet. Après avoir commencé des prospections dans d’autres régions, il se trouve que j'en ai parlé alors à D. Fantin, l’ancien gérant de la librairie. Nous étions d'abord concurrents puis confrères ; il connaissait ma sensibilité et ma vision du métier même si je venais d'une enseigne de distribution. Une fois la confiance établie, des liens se sont noués et le jour où je me suis ouvert à lui quant à mon projet, il m'a parlé de sa volonté de transmettre la librairie Garin. Dès lors cela a été assez rapide, quelques mois tout au plus. Il a bien sûr fallu rassurer une équipe pour qui je n’étais pas un inconnu en tant qu'ancien directeur de l'enseigne concurrente.

Avez-vous bénéficié d’un dispositif d'accompagnement particulier ?

Intérieur de la librairie Garin en 2018 : partie Sciences humaines

Intérieur de la librairie Garin en 2018 © Chez mon libraire

J'ai été accompagné par l'ADELC et le CNL principalement. Je peux dire que j'ai bénéficié de beaucoup d'appuis humainement parlant, de soutiens et de disponibilités dans le montage. La DRAC Auvergne-Rhône-Alpes m'a également fourni par la suite une aide à l'informatisation.

Plus localement, je suis également lauréat du réseau Entreprendre en Savoie, un réseau de chefs d'entreprises dont l’objectif est d’apporter un accompagnement à des créations ou des reprises d’entreprise, humain et financier, pour le maintien et le développement de l’emploi. Il intervient beaucoup sur les secteurs de l’industrie et des nouvelles technologies ; je suis donc particulièrement fier d’avoir obtenu cet engagement pour un projet de reprise d’une librairie. L’accompagnement humain est très développé : pendant deux ans, tous les lauréats d’une même année se retrouvent une fois par mois. Ce sont souvent des chefs de TPE, comme moi, et il est très intéressant de pouvoir échanger sur nos difficultés au quotidien.

Avec l'équipe de libraires en place, comment cela s'est-il passé ?

Au démarrage, c’est la grande aventure ! Cela a vraiment été un sentiment particulier d’être à mon compte. Pour l'équipe, j'imagine que c'était aussi une inconnue d’autant que j'arrivais de la concurrence. J'ai bien sûr rencontré tout le monde en expliquant mon parcours, ma sensibilité, mon projet par rapport au livre. Une des premières questions qui m'a été posée concernait le fait de continuer ou non à créer leurs propres assortiments. J'ai réaffirmé ma volonté de maintenir cette librairie indépendante, en continuant à proposer des rayons personnalisés et en défendant une certaine idée du livre et du métier.

Depuis, des changements sont intervenus dans l’équipe avec l’arrivée de 5 personnes suite à des départs, soit la moitié de l’équipe ! J’ai l’habitude de dire que nous sommes tous de passage. La librairie fête ses 70 ans cette année et une cliente nous a récemment souhaité un « nouveau round de 70 ans ». Je ne serai moi-même plus là pour le fêter, mais j’espère que la librairie le sera. En attendant, je m’efforce de donner à mon passage une tonalité joyeuse et exigeante.

Y a-t-il eu évolutions du magasin ? Votre offre a-t-elle changé, avez-vous de nouvelles orientations ?

Partie de l'espace jeunesse à la Librairie Garin en 2018

Espace jeunesse de la librairie Garin en 2018 © Chez mon libraire

Pas d'agrandissement, mais quelques aménagements de l'espace. L'entrée a été élargie et ponctuellement des rayons. L'ensemble était cohérent donc je n'ai pas eu besoin d'y toucher. Concernant l'offre, le stock en littérature s'est fortement enrichi même si on a encore un travail à faire pour étoffer la personnalisation de notre fonds, tel que cela a déjà pu se faire en Sciences Humaines par exemple. En termes de nouveau service, nous sommes affiliés à chez-mon-libraire.fr et cela fonctionne bien, on a connu une belle progression. Cela m’encourage à réfléchir à la possibilité de développer un site de vente en ligne.

L'ADN de Garin est d'être une librairie générale et scolaire, et l'on s'y tient. Le travail sur les manuels scolaires n’est bien sûr pas le plus passionnant, et même si cela ne représente pas une marge très intéressante pour la librairie, il s'agit de préserver en arrière plan tout un réseau de connexion avec les établissements, les CDI et les professeurs avec qui nous pouvons alors développer des projets sur la littérature, la poésie, la BD, etc.

Les animations sont particulièrement à l'honneur dans votre librairie.

Notre volonté est forte de faire de la librairie un lieu de vie en y proposant discussions, lectures et autres moments de rencontres, au gré des idées et des envies ! Même si on a un goût particulier pour la littérature et la poésie. Certaines fois, en sciences humaines par exemple, on peut être amené à travailler avec des associations et à se délocaliser.

L’un des événements ancrés depuis 7 ans à présent est l’organisation du Prix Garin. Ce prix, créé par Didier Fantin, l'ancien gérant, et Céline, libraire jeunesse, réunit une vingtaine de collèges de Savoie. Et près de 400 élèves, qui votent et déterminent ainsi chaque année un lauréat parmi une sélection de romans jeunesse.

Comment avez-vous communiqué sur cette reprise ?

Nous avons fait un communiqué de presse à l'intention des médias locaux qui a été bien relayé.

Notre page Facebook reste notre principal vecteur de communication. Pas très utilisée auparavant, nous nous la sommes réappropriée, tout comme le site web qui a entièrement été refait ; l'ancien site étant tombé en panne le jour même de la reprise ! Enfin, nous envoyons une newsletter par mois pour annoncer notre actualité et je trouve que c'est suffisant.

Nous avons également un nouveau logo suite à un concours lancé dans une école de design de Chambéry. Nous en sommes très contents. Il est par ailleurs prévu cette année de refaire les enseignes extérieures.

Vous êtes membres du CA de l'association Libraires en Rhône-Alpes ; que représente pour vous cet engagement ?

J'ai trouvé un état d'esprit qui correspond au mien. Une vision positive, une envie commune de professionnalisation et par conséquent, de valorisation de notre profession, que ce soit face aux fournisseurs, aux éditeurs, aux diffuseurs, ou vis à vis de notre clientèle.

Je rejette et combats l’idée du libraire fatigué ; menacé de toute part par les nouveaux modes de consommation. À nous de nous adapter, en portant des valeurs fortes, de promotion de la lecture, de diversité, de curiosité, de lien social. De connexion, physique, ancrée dans le réel. Celles-ci seront au cœur de la future modernité. Et c’est pourquoi les librairies indépendantes ont encore toute leur place, qu'elles sont précieuses et qu’elles n’auront pas besoin d’un phénomène de « revival » puisqu’elles n’auront pas disparu. Je prédis donc un bel avenir et comme je suis quelqu'un de très optimiste, il est impossible pour moi d'imaginer autre chose. Mais il faut travailler sur les conditions de cette future embellie : travailler sur l’ambiance de nos lieux et sur les services que nous apportons, avec le conseil en premier lieu, tiré d’une connaissance réelle de notre clientèle plutôt que sur la data et autres algorithmes douteux basés sur les historiques d’achat.

Et puis il faut persévérer à se professionnaliser, à travailler notre marge, à défendre la rentabilité de nos librairies pour pouvoir rémunérer correctement nos équipes, et c'est là un gros chantier, pour associer alors à notre image romantique (« tu es libraire, quelle chance ! ») d’autres motivations pour faire notre métier. Les éditeurs / diffuseurs / distributeurs n’auront de toute façon d’autres choix que de nous suivre ou de disparaître à leur tour dans la spirale de l’uniformisation et de la production culturelle au détriment de l’idée de diversité.


Propos recueillis par Chez Mon Libraire – Mars 2018
Article mis à jour en août 2023

Librairie Garin
Année de création : 1948
Date de reprise : 2016
Surface de la librairie : 330 m2 dédiés aux livres
Stock moyen  : environ 27 000 références
Nombre de salarié·es : 11 personnes