Portrait réalisé le 24/07/2015
Les univers de l'imaginaire et de la science-fiction nous ouvrent leurs portes. Cela fait à présent 10 ans que la librairie Trollune sévit à Lyon, proposant une offre large et variée de littérature et jeux spécialisés, attirant une clientèle toujours plus nombreuses et hétéroclites. Charles Trécourt, créateur de la boutique, et Charlotte Hayart, une des libraires, nous brossent le portrait de ce lieu pas comme les autres qui fête ses 10 ans cette année.
Quel a été votre parcours professionnel et quelles ont été vos motivations pour devenir libraires et ouvrir votre propre librairie ?
Charles Trécourt : Après des études en dessin à Emile Cohl, j’ai réalisé que travailler dans ce milieu ne me correspondait pas, j’ai ensuite travaillé en tant que conseiller de clientèle pour un opérateur mobile. La fermeture de mon magasin de jeu favori a été pour moi un vrai déclic. Constatant qu’il y avait une vraie demande sur Lyon, j’ai décidé de me lancer dans ce projet. Mon optique était de réaliser un magasin sur la thématique de l’imaginaire regroupant les jeux et les livres. Même si mon objectif principal était de créer un magasin de jeux spécialisé avec une offre très large, il était important pour moi d’intégrer une librairie spécialisée. Il était et il est toujours difficile de trouver des librairies spécialisées en France sur la thématique de la littérature de l’imaginaire. Il était donc nécessaire pour moi de proposer un lieu où des passionnés et des néophytes trouveraient une offre étendue et des conseils. Mon équipe et moi-même, aujourd’hui, sommes toujours très motivés pour conserver et mettre en valeur cette partie de notre boutique. La littérature de l’imaginaire est souvent reléguée comme un sous-genre, qui proposerait des livres mal écrits et sans scénario. Notre but est d’aller à l’encontre de ces préjugés et d’en finir avec les a priori erronés.
Charlotte Hayart : Au sortir du lycée, un bac L en poche, je me suis lancée dans un cursus de lettres modernes / histoire de l’art à l’université. Après un an, j’ai réalisé que cela ne me correspondait pas. J’ai donc suivi la formation en alternance du Brevet professionnel de Libraire à Villefranche, puis en septembre dernier j’ai été embauchée à Trollune où j’avais fait mon apprentissage. J’ai découvert mon engouement pour ce métier durant ma dernière année de lycée. J’avais toujours été très intriguée par ce métier, fréquentant depuis toute petite des librairies grâce à ma famille passionnée de livre ; j’ai donc voulu en savoir plus. Étant une cliente assez assidue d’une librairie spécialisée en BD située à Vienne, j’ai voulu percer le mystère de ce métier. C’est donc par le biais d’un stage, d’un petit CDD en décembre et surtout grâce aux libraires qui ont bien voulu me montrer les différents aspects de de ce métier, qu’est née chez moi la volonté d’être libraire. Ce qui m’a attiré dans ce métier, en plus de la possibilité de travailler avec des livres, était le contact avec d’autres passionnés, la constante volonté de vouloir s’améliorer et s’adapter au marché, le dynamisme constant que cette volonté dégage, la gestion, l’organisation et l’animation d’événements, la polyvalence des aptitudes que nous devons maîtriser (un libraire peut en une journée passer de manutentionnaire, à manager, à responsable de communication, à gestionnaire d’entreprise, monteur expert de bibliothèque et quelques fois tout de même à vendeur.)
Pouvez-vous nous présenter votre librairie « Trollune » ? Sa date de création, le choix de son nom, son positionnement spécifique... ?
La boutique a ouvert le 25 juillet 2005, après environ 2 ans de préparatifs.
Le nom a été choisi pour combiner un élément fort de la fantasy, le troll, associé à la brutalité et une dimension presque primordiale, et la Lune, corps céleste ajoutant une dimension 'mystérieuse', voire poétique, en contradiction avec le troll.
C'était aussi un souhait délibéré de composer un nom avec une contraction de 2 éléments, un peu sur le modèle de la défunte boutique de jeu lyonnaise 'Chantelouve'.
Nous ne sommes pas que libraires, nous ouvrons aussi les différentes fenêtres sur l’imaginaire : la littérature de l’imaginaire (science-fiction, fantasy et fantastique) ; les jeux de rôles ; les jeux de société ; les jeux de cartes et les figurines, le tout en français comme en anglais.
Pourquoi avoir choisi cette thématique ?
Cela est tout d’abord le fait d’une grande passion pour cette littérature, et pour la diversité et la richesse que proposent les œuvres appartenant à ce mouvement. Nous voulions mettre en avant cette littérature qui nous tient à cœur, et en dévoiler toutes les richesses, même aux lecteurs les plus hésitants. Mais nous voulions aussi répondre à une demande plus pointue pour des passionnés qui ne trouvaient pas toujours ce qu’ils cherchaient dans d’autres lieux de vente.
Quel est votre public ? N'y a-t-il que des lecteurs avertis ou se compose-t-il également de néophytes ?
Nous avons un public plutôt large tant au niveau des professions exercées que de l'âge. Cependant, notre public est légèrement plus masculin, même si nous constatons une féminisation de notre clientèle ces derniers temps. Même si la majorité de notre clientèle est composée de lecteurs avertis, nous essayons de montrer par le biais de conventions en extérieur ou d’animations au sein de la boutique, que nous sommes tout à fait ouverts pour accueillir des néophytes.
Les préjugés encadrant nos spécificités jouent sur notre image, nous passons souvent pour des puristes, et les clients néophytes ont des réticences à passer la porte de notre boutique. Cependant, nous faisons au mieux pour changer cette perception que certaines personnes se font de notre milieu, et nous constatons que petit à petit cela porte ses fruits.
Les autres spécificités de nos rayons nous permettent souvent de faire des ponts entre les différents genres de produits que nous proposons. Au fil des années nous avons constaté que des clients qui venaient pour suivre spécifiquement par exemple des jeux de plateaux, s’étaient mis à la lecture.
Pouvez-vous nous détailler plus spécifiquement les thématiques de vos rayons livres ?
Il faut savoir qu’à Trollune, nous refusons de trier les livres par genres et sous-genres. Pour la simple raison que dans les littératures de l’imaginaire, il n’est pas rare que les genres et sous-genres se croisent dans une même œuvre, ce qui rend le classement assez compliqué pour nous et notre clientèle.
Pour tout de même lister les genres et sous genres que nous suivons, il s'agit de tous les genres dits 'de l'imaginaire', donc de la grande famille de la science fiction, ce qui inclut entre autres la fantasy, le fantastique, ou encore l'uchronie.
Nous classons nos livres de la sorte :
Quelle est l'offre de jeux et autres produits dérivés présents dans vos rayons ?
N’étant pas seulement une librairie, nous avons une offre importante et diversifiée de jeux de plateaux, de jeux de rôles, de jeux de figurines et de jeux de cartes tant en anglais qu’en français.
Sur des marchés très prolifiques, nous faisons notre maximum pour proposer un éventail de produits le plus large possible.
Organisez-vous régulièrement des rencontres, événements, animations ?
Nous avons un espace d’animation en accès libre pendant les horaires d’ouverture de la boutique, et dans un cadre associatif en dehors des horaires d’ouverture de la boutique. Nous proposons des activités tous les jours, soit que nous encadrons, soit comme suggestion pour les personnes souhaitant venir.
Nous hébergeons régulièrement d’autres associations autour de la culture Geek qui profitent de nos salles, que ce soit pour leurs pratiques de loisir (tournois, soirée ou rencontre) ou pour des réunions.
Plus spécifiquement pour la librairie, nous organisons des dédicaces à des fréquences plutôt régulières, des rencontres d’auteurs, des tables rondes, des journées thématiques. Nous avons également un club lecture. Depuis peu, nous organisons de temps en temps des buffets thématiques, le dernier par exemple était un hommage à Terry Pratchett.
Comment décririez-vous l’évolution de l’offre éditoriale dans le monde de la librairie de l'imaginaire ?
Très diversifiée et pléthorique à notre échelle (nous n’avons pas d’aussi gros arrivages qu’une librairie généraliste pour la rentrée littéraire). L’offre varie beaucoup selon les éditeurs : les petits éditeurs spécialisés en littérature de l’imaginaire ont tendance à nous proposer des œuvres s’adressant davantage à un lectorat averti, alors que de plus gros et plus généralistes auraient tendance à viser un lectorat plus large. Le secteur des littératures de l’imaginaire s’adapte beaucoup aux thématiques qui sont en vogue, comme les zombies par exemple dernièrement. Il nous est donc proposé une foule de titres sur ce même thème, mais c’est notre travail de sélectionner ce qui nous semble plus pertinent pour notre clientèle et notre rayon.
Avez-vous effectué des aménagements dans votre librairie, et si oui de quel ordre ?
Le dernier en date est un aménagement informatique, nous sommes maintenant équipés d’un logiciel de libraire.
Puis nous avons eu des aménagements plus tournés vers l’organisation interne et la gestion des réserves. Il y a deux ans, nous avons loué deux nouvelles salles de jeux, ce qui nous a permis d’agrandir au sein de notre boutique l’espace de vente. L’espace librairie s’est donc élargi et a pu se munir d’un nouveau rayon jeunesse / jeunes adultes. Il y a cinq ans, nous avons déménagé dans un local plus grand, mais par chance à la même adresse. Nous avons ainsi pu conserver notre ancien espace de vente qui sert aujourd’hui de salle d’animation.
Lorsque vous vous êtes lancés il y a 10 ans, aviez-vous envisagé toutes les facettes du métier, notamment l’aspect commercial, la gestion… ?
Il y a dix ans, malgré évidemment l'espoir de voir prospérer le commerce, je ne pensais pas que Trollune évoluerait comme elle l’a fait.
Par exemple, je ne pensais pas particulièrement avoir besoin d’agrandir notre surface de vente ou encore à recruter des employés. Nous n’avons donc pas toujours anticipé les besoins que notre croissance a fait apparaître. Nous avons aujourd’hui encore du travail à faire pour complètement quitter l’organisation des premières années, désormais inadéquate avec la croissance du magasin.
À vos yeux, quels ont été les changements, les évolutions de votre activité au cours des 10 années écoulées, et quel bilan en tirez-vous ?
Charles Trécourt : En 10 ans, l'offre, tant dans le domaine du jeu spécialisé que dans celui des littératures de l'imaginaire, s'est énormément multipliée.
Pour autant le public s'est beaucoup développé également, mais il est devenu de plus en plus difficile, pour ne pas dire impossible, de proposer l'intégralité des produits du marché, même en voulant se limiter à des produits 'pro' avec un bon niveau de production.
Les outils de communication on aussi beaucoup changé, avec une nécessité croissante de visibilité sur Internet et les réseaux sociaux. En 2005 ces derniers débutaient à peine.
Avec la croissance de la boutique et de son personnel, nous avons pu nettement augmenter ces dernières années notre implication dans de l'événementiel, en particulier hors de nos murs.
Depuis quelques années on a aussi vu exploser les financements participatifs (dans le domaine du jeu tout particulièrement), qui à mon avis n'ont pas encore complètement trouvé leurs marques, et en l'état détournent plus souvent que l'inverse des parts de marché et les moyens financiers de la clientèle.
La vente par correspondance, également, a continué de se développer considérablement.
Charlotte Hayart : Ne faisant partie de l’équipe que depuis 3 ans, j’ai aussi pu constater quelques changements. Concernant la librairie, elle s’est agrandie, nous avons pu ouvrir un rayon jeunesse, chose qui nous tenait à cœur. Nous travaillons à remettre en avant et redynamiser la librairie afin de toucher une nouvelle clientèle. En conséquence, nous faisons plus de déplacements avec des stands de ventes sur des conventions pour nous faire connaître, nous organisons de l’événementiel propre à la librairie, choses qui ne se faisaient que très peu avant. De manière plus globale, notre chiffre d’affaires est en évolution, nous avons revu certaines de nos manières de travailler, notre équipe s’est agrandie. Notre clientèle s’est féminisée et les familles sont aussi plus nombreuses. Nous nous sommes aussi investis dans les regroupements pour libraires en début d’année.
Quels sont vos projets à plus ou moins long terme ?
Le principal projet est de continuer cette aventure, pour y parvenir nous aimerions déménager de local afin d’avoir plus d’espace de vente et pouvoir regrouper les salles de jeux et la boutique sur un même lieu.
Nous voulons aussi rénover notre site internet, qui est actuellement une 'vitrine' pas mal 'datée', et globalement un simple portail vers notre forum, et développer une réelle activité de vente par correspondance, pour proposer notre large catalogue à un plus grand nombre.
Comment voyez-vous évoluer le métier de libraire dans les années qui viennent ?
Charles Trécourt : Il doit rester un métier de passionnés, et s'adapter aux évolutions des méthodes de communication pour continuer de toucher et rassembler sa clientèle.
Le numérique reste aussi un enjeu d'avenir, je pense, sur lequel on peut espérer voir les libraires devenir de vrais acteurs.
Charlotte Hayart : Comme un métier de partage qui a pour but de créer un vrai lien entre le livre et les lecteurs, ainsi qu’un vrai espace d’échanges entre passionnés. Malgré le contexte économique difficile, à Trollune nous pensons que la librairie en général persistera, car la majorité des libraires aujourd’hui sont prêts à évoluer et s’adapter aux marchés et aux nouveautés. Tant que la librairie demeure un lieu de vie, d’échanges et de partages, elle perdurera.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaiteraient se lancer dans une librairie spécialisée ?
Charles Trécourt : Avant tout de se lancer par passion, mais sans précipitation.
Il faut bien préparer son projet, l'adapter à la chalandise choisie, et prévoir des financements suffisamment confortables pour anticiper des premières années très difficiles.
Se renseigner aussi auprès des gens du métier pour glaner de bons conseils et une vision la plus lucide possible du marché visé.
Et bien prévoir qu'actuellement un libraire, en particulier spécialisé, doit, à mon avis en tout cas, proposer plus qu'un simple point de vente, mais aussi un lieu de vie et de rassemblement de gens partageant des goûts et intérêts communs.
Charlotte Hayart : Avant toute chose, de bien réfléchir. Avant de s'implanter, il convient d'étudier attentivement le marché, les zones de chalandise, et d’en parler aux libraires environnants et à l’association de libraires de la région, qui peuvent être de bon conseil. La passion d’une littérature spécifique (Imaginaire, jeunesse, BD, etc.) ne suffit pas, même si elle est évidente. Pour moi, il est important aujourd’hui de se former pour exercer ce métier et nous avons la chance en France d’avoir de vraies formations en la matière. Cette profession est beaucoup plus complexe que ce que l'on pourrait croire de prime abord. Il faut acquérir un maximum d’expérience, et pas seulement en librairie spécialisée, afin de pouvoir se construire un vrai point de vue sur le métier et de trouver des façons de travailler qui nous correspondent. Il est important de pouvoir échanger avec les libraires, et d’avoir les épaules solides. Le métier de libraire est difficile, on se confronte à des situations complexes, malheureusement plus souvent qu’on ne le croirait, en termes de chiffres, de gestion et même de vie personnelle. C'est un métier qui prend énormément de temps, débordant souvent sur notre vie en-dehors de la boutique, et qui propose des salaires modestes proportionnellement au travail fourni.
Le métier de libraire pour vous, c’est quoi ?
Charles Trécourt : C'est pas mal de choses, mais à la base c'est savoir au moins dans les grandes lignes ce qui est sur le marché, ce qui implique de rester informé des sorties, et savoir proposer les bonnes œuvres aux bons clients.
Ça veut, d'une part, dire qu'on se doit de rester très intéressé par les nouveautés et par l'ensemble de l'offre, d'arriver à en garder une vision aussi globale qu'analytique, mais aussi, d'autre part, de savoir écouter, comprendre et conseiller au mieux les clients.
Charlotte Hayart : Pour moi, c’est un ensemble de choses. C’est un métier où le plus important reste l'humain : être à l’écoute des besoins ou demandes de chacun, être prêt à partager sa passion et à en parler, avoir la volonté de faire découvrir et la curiosité d’aller chercher de nouvelles choses. Un métier où il faut être commerçant, et savoir gérer, organiser, anticiper, mettre en avant, tout en étant constamment à l’affût de l'actualité littéraire avec pour objectif, notamment, d'attirer de nouveaux publics.
Propos recueillis par Libraires en Rhône-Alpes – Juillet 2015
Librairie Trollune
25 Rue Sébastien Gryphe, 69007 Lyon
Tél : 04 78 69 85 56
Année de création : 2005
Surface de la librairie : 140m² de vente et 200 m² d’animation
Petite visite en photos de la librairie
location_on 25, rue Sébastien Gryphe - 69007 Lyon
phone 04 78 69 85 56
Voir le site de la librairie En savoir plus sur la libraire
