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Portrait du libraire Gilbert Castilleno

Portrait réalisé le 20/04/2023

Portrait de Gilbert - Bleue comme une orange

En approchant de la librairie Bleue comme une orange à La Talaudière, nous sommes immédiatement fascinées par sa façade extraordinaire. Une immense fresque célébrant la lecture s'étend sur toute sa surface.

Une fois à l'intérieur, nous explorons les différents rayons de cette librairie au nom évocateur. Parmi eux, un espace isolé attire notre attention : celui dédié aux bandes dessinées. Malgré sa taille modeste, il dégage une chaleureuse atmosphère, avec ses fauteuils confortables et son pouf invitant à la détente. C'est ici, au cœur de l'univers coloré des bulles et des héros·ïnes dessiné·es, que nous allons à la rencontre de Gilbert, un libraire passionné et humaniste. Nous prenons place, nous imprégnant de l'atmosphère unique qui règne dans cette librairie qui fête ses 10 ans en 2023.

MAJ : découvrez les images de la fête d'anniversaire de Bleue comme une orange.

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Bleue comme une orange

location_on 12 rue de la République - 42350 La Talaudière

phone 04 77 81 20 16

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Rencontre avec Gilbert Castellino

Au sommaire

  1. Le chemin vers la librairie
  2. La force de l’entraide
  3. Un nom énigmatique
  4. La vie de la librairie dans et hors les murs
  5. Être libraire : évolutions, conseils et perspectives
  6. Une décennie de passion, une fête à partager

Envie de lire de nouveaux livres ? Retrouvez la sélection livresque de Gilbert et tous les coups de cœur de la librairie Bleue comme une orange sur Chez mon libraire.

Le chemin vers la librairie

Comment a débuté ton histoire en tant que libraire ?

J'ai travaillé en librairie quand j'avais 18 ans. C'était à la librairie La Boîte à soleil à Tence, tenue aujourd'hui par Sandrine Charreau. À l'époque, c'était celle d'Olivier Gruyé et de Chantal Rosso. Je faisais des petits remplacements, je venais pour les coups de bourre ! J'étais déjà grand lecteur et client de cette librairie, j'habitais Tence : ça me plaisait. J'allais entrer en fac de lettres.

Pendant 17 ans, j'ai été secrétaire de direction et documentaliste dans le cinéma. Je n'avais pas perdu le goût de la lecture, parce que je lisais tous les soirs, quand je n'étais pas au cinéma ! Au bout de 17 ans, je me suis retrouvé au chômage, j'ai trouvé un travail à la librairie Regain à La Talaudière. Pendant deux ans, j'y ai travaillé d'abord à mi-temps, puis à plein temps. J'ai été son dernier employé. C'est devenu une évidence pour moi que j'étais dans un élément qui me plaisait, une voie qui m'avait toujours appelé et me correspondait. Je n'avais jamais vraiment quitté le domaine des livres, parce que le travail de documentaliste, c'est de compulser des articles et de lire des livres ! Il s'est trouvé que la librairie Regain n'allait pas très bien économiquement.

Façade de la librairie Bleue comme une orange : une fresque bleu et orange recouvre toute la façade. Des personnages, assis sur des livres, naviguant sur la mer, lisent de nombreux livres.

Façade de la libraire Bleue comme une orange © Chez mon libraire

Sommes-nous sur l'emplacement de l'ancienne librairie Regain ?

Non, la librairie Regain faisait 90 m2, même un peu plus avec les salles de réserve. C'était trop grand pour moi. La libraire d’alors aurait aimé que ce soit repris, mais ce n'était pas possible. Pour moi, c'était beaucoup trop cher. D'ailleurs, ça ne s'est pas tout à fait passé comme une reprise. Quand la municipalité a appris que la librairie Regain fermait, elle m'a contacté pour évoquer son souhait qu'il y ait une librairie à La Talaudière et me proposer que ce soit moi qui la tienne parce que, me disait-elle, « les administré·es, votre clientèle, vous apprécient ». Je me suis dit « tant mieux, je vais pouvoir continuer à travailler en librairie ! », mais j'ai aussi senti beaucoup plus de pression. C'était un gros challenge. Il ne fallait pas que je me rate. J'en ai parlé à quelques client·es qui m'ont dit « On est prêt·es à vous accompagner pour créer cette librairie. »

Il n'y a plus eu de librairie à La Talaudière pendant un certain temps ?

Juste une rupture d'août à fin novembre. La librairie Bleue comme une orange a été ouverte en décembre. Une rupture assez courte donc. L'association Les Amis lecteurs s'est créée pour m'accompagner dans les démarches, la constitution du stock, parce qu'il fallait que je fasse très vite. La municipalité a pris position en trouvant un local commercial qu'elle a remis à neuf, et par la suite, a fait un bail précaire et un bail commercial. Cette aide m'a permis d'avoir un prêt en banque pour acheter du fonds. Ce que je n'aurais pas pu obtenir si j'avais déjà dû financer le bail. J'ai pu ouvrir le 7 décembre 2012, cela fait donc un peu plus de dix ans. On n'a pas pu les fêter en mars car les illustrateurs et illustratrices que je voulais recevoir n'étaient pas disponibles. En conséquence, j'ai tout reporté.

Comment es-tu devenu libraire ? As-tu suivi une formation ?

Pendant un an, j'ai tenu presque seul la librairie Regain. Je me suis donc formé sur le tas. Je suis aussi allé voir des confrères et consœurs libraires pour voir leurs pratiques de travail. Et puis surtout, en créant cette librairie, j'ai voulu avoir un véritable logiciel de gestion. J'ai choisi Librisoft, et me suis formé sur ce logiciel.

Ce n'était pas le cas chez Regain ? Il n'y avait pas de logiciel ?

C'était un logiciel non spécialisé en librairie, non professionnel, qui n'enregistrait pas les commandes. On les notait sur un cahier. C'était terrible pour s'y retrouver ! Je n'ai pas hésité à suivre une bonne formation sur le logiciel, de quatre jours il me semble. Ensuite, j'ai suivi différentes courtes formations en librairie qui étaient faites par l'École de la librairie (encore INFL à l’époque). Les formations étaient bien souvent proposées via l'association Chez mon libraire. Aujourd'hui, je continue à me former. Je vais suivre la formation que vous proposez sur les réseaux sociaux, parce que sur ce sujet, je suis perdu. Je n'ai pas les références, je n'ai pas les codes. Quand je vois ce que font la plupart de mes confrères et consœurs, par exemple la librairie La Parenthèse à Annonay, cela me fait envie. Cette librairie a toujours été en avance sur tout !

La force de l’entraide

Es-tu seul à travailler dans cette librairie ?

Pendant des années, j'étais avec mon épouse comme seule collaboratrice, ce qu'elle est toujours. Elle m'aidait aux réceptions. Et puis, petit à petit, ça a pris de l'ampleur, je travaillais entre 50 et 60 heures par semaine. Mon épouse ne pouvait pas s'investir plus. Élisabeth, qui venait souvent, a commencé à me donner un coup de main, à faire des petites missions. Petit à petit, elle a fait sa place et il est arrivé un moment où c'était une évidence, il fallait que je puisse créer un emploi.

Elle a aujourd'hui un temps partiel, aménagé sur l'année. La semaine, elle vient deux demi-journées. Le mercredi après-midi et le samedi après-midi, les jours les plus chargés. Elisabeth s’occupe de l’assortiment des rayons jeunesse et ados, là où elle a une sensibilité un peu plus forte que moi. Ça ne veut pas dire que je n'ai pas de sensibilité sur ces rayons ! Au contraire, j'adore le roman ado. Un de mes coups de cœur, ce sont « Les Sœurs Lakotas » de Benoît Severac (éditions Syros), cet auteur qui a écrit ce qui sera un autre coup de cœur pour moi, « Le Tableau du peintre juif » (ed. La Manufacture de livre). Magnifiques histoires, très fortes. Mon épouse travaille au classement, à la proposition de vente et sur des fiches de lecture. Elle lit énormément, un à deux livres par jour. Ça aide très clairement un libraire !

Photographies de l'intérieur de la librairie Bleue comme un orange : un intérieur chaleureux aux couleurs bleues et oranges.

Intérieur de la libraire Bleue comme une orange © Chez mon libraire

Tu as parlé de l'association Les Amis lecteurs. A-t-elle toujours une place aujourd'hui ?

Les Amis lecteurs, en fait, c'est un gros groupe. Au départ, il y avait une dizaine qui m'aidait sur le projet de la librairie. L’objet social de l'association était l'accompagnement d'une création de librairie. Quand la librairie a été créée, normalement leur champ d'intervention devait s'arrêter là, mais ce groupe a eu envie de continuer cette aventure, car on avait vécu quelque chose de très fort. La question du devenir de l'association s'est donc posée. Les statuts ont été modifiés et maintenant, elle se positionne sur la promotion du livre et de la lecture auprès et autour de la librairie. Cela veut dire qu'elle n'intervient pas directement dans la librairie, sauf pour faire des lectures pour des enfants, des animations, ainsi que pour une grosse part des interventions à l'extérieur. Par exemple, c'est elle qui se charge de mettre en place l'opération La Nuit de la lecture avec des acteur·rices au niveau local : avec la bibliothèque, avec le centre social de La Talaudière. Idem pour la Fête du jeu. On essaie de faire des jeux autour des livres, par exemple des jeux de piste avec les histoires du Loup pour les petits. L'association s'occupe de cette programmation et la librairie fournit les livres.

C'est un vrai soutien pour la librairie.

C'est un réel soutien, c'est sûr ! Il nous manque du temps en librairie pour faire toutes ces actions, c'est énorme. Quand je faisais des animations (que j'ai un peu arrêté après la crise Covid), l’association était présente, m'accompagnant. Elle allait bien souvent chercher les auteurs et autrices, leur préparait une collation. C'est un soutien logistique qui est incomparable et irremplaçable. Cette association évolue en parallèle, à côté de la librairie. Elle n'interfère pas sur mes choix. Je peux tenir compte de ce que les membres me disent parce que ce sont des lecteurs et lectrices. Cela a toujours été clair entre nous.

Quelle est ta zone de chalandise, la place de la librairie sur ce territoire ?

Je crois que vous avez pu le voir, La Talaudière n'est pas très grande. Tous les corps de métiers sont représentés dans les commerces et dans l'artisanat. La librairie, c'est presque un petit monde dans le quartier. Les gens se sont accaparés la librairie. Je dis souvent que la librairie, ce sont les client·es qui y entrent qui la font. Elle se forme et se transforme continuellement par la clientèle qui est protéiforme. On la connaît un peu, mais il y a quand même toujours une petite dose d'inconnu, de changements. Il y a des personnes nouvelles, certaines aussi que l'on a amenées vers des lectures spécifiques et qui demandent d'autres choses ensuite. C'est à nous de nous habituer, de nous adapter. C'est bien d'arriver avec ses références, mais la clientèle a, elle aussi, beaucoup de références. Les client·es se l'accaparent vraiment. Ils disent « Je vais chez mon libraire, chez Gilbert le libraire ». On sent qu'il y a une appartenance.

Je l'ai d'autant plus ressenti quand j'ai eu des difficultés l'année dernière. Les charges faisaient que l'on a eu des problèmes de trésorerie. J’en ai d'abord parlé avec des Amis lecteurs, quelques client·es très fidèles, qui m’ont dit « On va trouver une solution. On va en parler autour de nous, on va relancer un petit peu la machine, le dynamisme de cette librairie ». De mon côté, j'ai interpelé les municipalités en leur expliquant que la librairie n’était plus en capacité de faire 9 % de remise pour les bibliothèques, en plus de payer la Sofia ; que je continuerai à fournir les livres commandés à la librairie, mais sans remise. La plupart des municipalités qui ont l'habitude de travailler avec la librairie n’ont pas voulu mettre en péril la librairie. Elles ont continué à la soutenir. Elles sont même allées plus loin puisque La Talaudière a décidé pendant trois mois de suspendre entièrement le loyer les mois les plus difficiles (septembre, octobre, novembre 2022), pour que l'on retrouve un peu de souffle. L’embellie après la crise du Covid a été de courte durée. Peu de la nouvelle clientèle acquise, environ 1 000, est restée. Elle est repartie vers ses habitudes. On a un peu oublié la librairie de quartier, la librairie du coin, la librairie de proximité.

La concurrence à Saint-Etienne a peut-être joué ?

Les librairies de Saint-Etienne ne sont pas des concurrentes. On se connaît tous et toutes, on s'apprécie. La clientèle est toujours étonnée que je puisse dire « Le livre que vous cherchez, puisque c'est urgent, tel confrère ou telle consœur l'a, n'hésitez pas, allez-y. » Elle n'en revient pas. Mais, il est tellement plus intelligent de travailler en réseau de libraires, grâce à Chez mon libraire, pour pouvoir être informé·es assez rapidement, plutôt que de dire « commandez-le ». Si on est libraire, comme un artisan, on veut que ça soit une personne du métier qui travaille, pas une grosse chaîne. On n'a pas besoin de ça, on peut vivre sans ces chaînes. On vit même très bien.

Section BD de la librairie Bleue comme une orange : l'espace est séparé des autres par une alcove.

Intérieur de la libraire Bleue comme une orange - Section bandes dessinées © Chez mon libraire

Bleue comme une orange bénéficie donc d'un environnement favorable, qui soutient la librairie, que ce soit au niveau de sa clientèle et de la municipalité.

La municipalité de La Talaudière, mais aussi celles de Sorbiers et L'Etrat ont décidé de continuer à se fournir à Bleue comme une orange. Je leur ai pourtant dit que je comprendrais tout à fait qu'elles changent de fournisseur, leur budget n'étant pas extensible ! Ça impacte un petit peu le budget des bibliothèques, mais elles ont continué à me soutenir. Il y en a deux qui sont parties. Je peux le comprendre.

Tu proposes donc 0 % de remise ?

0 %, pour l'instant. L'Agence régionale du livre et de la lecture veut m'interviewer là-dessus pour savoir comment je suis arrivé à sensibiliser les municipalités sur cette question : 9 % de remise plus 6 % de droits de prêt par la Sofia, c'est un peu difficile en librairie, quelle que soit la taille, parce que ça un impact sur la rentabilité et sur la trésorerie. Je ne sais pas si je vais rétablir une remise dans l'avenir. Ce sera en discussion après avec les municipalités. Est-ce qu’il ne pourrait pas exister une compensation différente ?

As-tu reçu d'autres aides ?

J'ai eu un soutien à la création par la région de 15 000 €. Je n’ai pas le Label LiR du CNL car je n’ai pas assez de références (minimum 6000).

Quel type de clientèle as-tu ? As-tu des ventes avec le pass Culture ?

J'ai beaucoup de jeunes qui viennent avec leur pass Culture. C'est très intéressant parce que comme c'est une librairie généraliste, je vends de tout sur cette appli. Certes, il y a beaucoup de mangas et de BD, mais ce n'est pas l'intégralité. Il y a d’autres achats de lecture plaisir. Un certain nombre de jeunes se font une vraie bibliothèque, étalent leurs achats, parce que leurs goûts vont certainement évoluer et ont encore du temps pour pouvoir utiliser leurs crédits. Les plus jeunes ont 20 ou 30 €, ils vont les utiliser presque tout de suite. Mais celles et ceux qui ont 18 ans qui ont 300 € de crédits se disent « Je vais prendre un petit peu de temps, je vais en profiter pour choisir ce que je veux lire. » C'est formidable. Hier soir, je suis resté assez tard parce qu'il y avait une jeune qui choisissait… Il lui restait 69 € sur son pass Culture. Elle les a utilisés, c'était un très bon moment. En même temps, je n'ai pas un gros stock, bien souvent, on me passe commande. Quand le livre arrive, je fais les offres sur le pass Culture et ensuite les jeunes peuvent réserver. C'est le plus pratique.

Plus globalement, la clientèle de la librairie est très variée. Ça va des livres que l'on achète pour les tout·es petit·es, pour les bébés, jusqu'aux livres pour des personnes âgées avec gros caractères. Il y a de tout !

Quel est le pouvoir d'achat dans la région ?

Il est très bon, c'est une zone assez privilégiée ici, dans la région de Saint Etienne. Pourtant, j’observe que le panier moyen baisse de plus en plus. Cela a commencé l’année dernière, et même plongé cette année, les trois premiers mois de 2022. Dans le même temps, les ventes de livres de poche et de petits formats augmentent, au détriment du broché.

Un nom énigmatique

Et alors, pourquoi « Bleue comme une orange » ?

Il y a deux raisons ! Premièrement, si j'avais été libraire spécialisé, mes rayons auraient été poésie et polars. Totalement différent ! Ce n'est pas possible. La poésie, je suis tombé dedans et c'est ce qui m'a donné envie de lire. Mon frère aîné avait différents recueils de poésie, que j’ai découverts. Ses romans ne m'intéressaient pas. Très jeune, je lisais énormément de BD. Puis la poésie, c'est un langage qui m'a plu. Je suis tombé un jour sur ce poème de Paul Eluard, « La Terre est bleue comme une orange » (1929). Je n'y ai rien compris, mais j'ai trouvé ça beau. Ce fut un déclic. À partir de là, je suis tombé complètement dedans ! Quand il a fallu chercher un nom pour la librairie, ça n’a pas été une chose facile. À quelques jours de déposer le dossier à la chambre de commerce, je ne savais toujours pas comment l’appeler ! Un soir, ma fille qui était petite me dit « Papa, j'aime le bleu. Le bleu est dans mon cœur. Mon cœur est bleu. » Ça a été le déclic, Bleue comme une orange. Voilà la petite histoire.

Photos de l'intérieur de Bleue comme une orange : sur une table, une jolie planche de stickers avec le logo de la librairie, pour mettre en avant des coups de coeur ou faire des paquets cadeaux, attire l'oeil.

Intérieur de la libraire Bleue comme une orange © Chez mon libraire

Tu disais qu'il y avait deux histoires !

La deuxième histoire, celle que je raconte, c’est que mon métier est d’aider à ce que les gens soient libres de penser ce qu'ils veulent. J'ai pensé à ce poème « La Terre est bleue comme une orange » en me disant que les gens pouvaient aimer Tintin ou de la poésie, des choses complètement folles, parce que la Terre est ronde comme une orange… Mais, l'orange n'a jamais été bleu !

La vie de la librairie dans et hors les murs

La surface de la librairie est-elle adaptée à ton activité ?

La librairie fait 60 m2 à peu près. La plupart du temps, elle est adaptée à notre activité, oui. Il n'y a que de septembre à décembre où l'on explose, tout est plein de partout du fait des manifestations et des fêtes de fin d'année ! Il ne faut pas rater la fin d'année en librairie, c’est une période réellement importante.

Participes-tu à des manifestations autour du livre ?

Nous participons à La Fontaine aux livres, toutes les années, le dernier week-end de novembre, à Fontaines. Pendant un jour et demi, dans ce petit village de 800 personnes à peine, cinq ou six auteur·rices et illustrateur·rices, jeunesse et adulte sont invité·es. Bleue comme une orange est chargée de tout ce qui est adulte, BD adulte et papeterie. Les Croquelinottes à Saint-Etienne sont chargées de la jeunesse et de la BD jeunesse. C'est très intéressant parce que l'on rencontre des lecteurs qui posent plein de questions sur les livres.

Les personnes organisant le festival s'occupent de tout, notamment de la caisse. En tant que libraires, nous sommes là pour donner des conseils aux personnes qui passent et accompagner les auteurs et autrices.

Est-ce qu'il y en a aussi des animations en librairie ?

Malheureusement, je n'en fais plus depuis la crise du COVID. Comment, dans ce petit lieu, accepter de mettre autant de gens qu'avant pour une animation, pour une rencontre ? Recevoir Miguel Bonnefoy avec 30 personnes, c'est dur. Pour Corinne Royer, il y a 5 ou 6 ans, on avait reçu 49 personnes ici. On était entassé·es les un·es sur les autres. Aujourd'hui, je ne le referai plus. C'est pour cela que je souhaite réaménager la librairie : pour créer un espace convivial où il y a de l’espace quand on entre, que l’on puisse circuler tranquillement pour un meilleur accueil et pour un meilleur confort de présentation. Et bien sûr pouvoir accueillir du public sur des rencontres, recevoir des auteurs et autrices, faire des ateliers avec des illustrateurs, des illustratrices. 

En dix ans, ce sera le premier réaménagement de la librairie ?

Oui, ce sera le premier réaménagement prévu. La petite pièce dans laquelle on est n'existera plus telle quel. Le galandage va tomber, ouvrant vraiment, faisant rentrer de la lumière. Il y aura une cabane à livres pour les enfants, un coin enfants. Dans l'autre grande partie du magasin, ce sera réservé aux adultes et ados, avec une belle place pour les BD et les mangas. Pour l'instant, je suis obligé de sortir des BD des rayons pour les présenter à l'avant, pour les mettre un peu en valeur, parce que l'on ne vient pas facilement dans l’espace où nous sommes. Il y en a encore qui découvrent cette pièce, alors qu'elle est ouverte, mais c'est un petit passage. Dans le cadre du réaménagement, de nouveaux meubles seront faits sur mesure : pour gagner de la place, mais aussi du mètre linéaire d'exposition et de vente. Les tables seront sur roulettes pour être déplacées lors des animations. Le tout pour essayer de trouver un confort et un meilleur accueil. Cette réalisation sera possible avec l'aide du contrat de filière (aide de la DRAC, de la région et du CNL) et certainement un crowdfunding.

Être libraire : évolutions, conseils et perspectives

Tu disais tout à l'heure que tu travaillais parfois 60 heures par semaine. Quel conseil donnerais-tu à un·e libraire qui serait dans la même position que toi il y a quelques années ?

Ce serait d'essayer d'être plus présent chez soi. C'est assez primordial. Essayer d'employer quelqu'un beaucoup plus tôt quand on en a la possibilité, pour se dégager quelques heures au moins et vivre plus sereinement. Même si c'est toujours un poids, un souci, de pouvoir dégager des salaires, c'est contrebalancé par le fait de pouvoir souffler, d'être soulagé. Si tu trouves la bonne collaboratrice, le bon collaborateur, les bons employé·e·s, tu es serein. Aujourd'hui, quand je prends des vacances, en été, je pars tranquille. C'est assez formidable ! Je dirais à un ou une jeune libraire quel que soit son âge : « Prenez du temps pour vous ! » La première chose que j'ai faite quand Élisabeth a été employée, c'est d'aller chez le kiné ! C'était un luxe avant, je ne pouvais pas. Je n'avais pas le temps ou je ne prenais pas le temps. Là, je l'ai pris et ça m'a fait vraiment un bien fou. J'y allais toutes les semaines, c'était mon rendez-vous.

Selon toi, quelles sont les qualités indispensables pour exercer le métier de libraire ?

D'abord, la qualité indispensable, elle doit se lire sur le visage. Si tu n'as pas de sourire en toi, même si tu as des bonnes connaissances, même si tu maîtrises tout sur le livre, tu n'auras pas une bonne relation avec ta clientèle. Si tu portes un sourire en toi, malgré la difficulté de la tâche, malgré les problèmes que l'on rencontre en librairie, malgré le peu de reconnaissance que l'on peut avoir, c'est formidable. Après, il faut aimer lire, aimer rencontrer et surtout savoir s'entourer.

Depuis 10 ans, quelles évolutions as-tu pu constater dans le métier ?

Le métier est perpétuellement en changement. Notre corps de métier, c'est d'être présent·e physiquement avec la clientèle, parler avec elle, être dans le conseil, dans la réception… Mais le temps est compté pour cette clientèle. Le site Chez mon libraire a été une sacrée avancée en ce sens. On l'a vu pendant les périodes de confinement et on le voit encore aujourd'hui. Tous les jours, je reçois des commandes via le site. Cela permet aux client·es de gagner du temps, de ne faire qu'un seul passage : après réservation ou commande, la ou le client·e recevra un message pour lui indiquer que le livre est arrivé.

Je fais de plus en plus souvent des envois aussi, bien que ça ne reste pas énorme - minimum deux à trois par mois (avant, j'en faisais un par an). Ce sont des demandes de personnes à mobilité réduite, mais aussi des personnes situées de partout en France et en Europe. Pour l'instant, on essaie tout le temps de trouver ce qui revient le moins cher à la clientèle concernant les frais de port. Je pense qu'il est important que tout le monde sache qu'il y a un coût sur le transport. On le voit tous les jours, tous les mois : nos factures de transport de livres augmentent.

Par rapport à l'évolution du métier, il ne faut pas perdre de vue qu'il y a Internet, que si l'on veut exister, il faut y être un peu présent, communiquer - ce qui n'est pas mon fort (sourire) ! Et puis, s'adapter : on s'aperçoit que les jeunes reviennent en librairie. En réalité, ces jeunes ne sont jamais vraiment parti·es, mais ont de nouveaux désirs, de nouvelles lectures comme le manga, la new romance (pour les jeunes adultes).

Photos de l'intérieur de Bleue comme une orange : un espace jeunesse accueillant, orange pétant, avec des rayons variés.

Intérieur de la libraire Bleue comme une orange - Section jeunesse © Chez mon libraire

As-tu des demandes de livres d'occasion par la clientèle ?

J'ai des demandes. Il y a des personnes qui m'avaient contacté, une société qui fait du livre d'occasion aussi (Ammareal ou Recyclivre). C'était sous forme de bons d'achat, mais je ne sais pas quoi en penser (j'attends d'avoir des retours de confrères et consœurs). Bien sûr, ça m'intéresse, mais pour l'instant, je suis en phase de réflexion. Je ne veux pas tout accepter en livre d'occasion. Vendre des livres d'occasion, c'est une autre forme de travail, il y a des exigences à respecter (un registre à tenir par exemple). Mais pourquoi pas ?

Il semblerait que la marge soit plus intéressante, et aujourd'hui, on court après les marges. Faire du livre d'occasion, oui, mais c'est quand même un petit lieu. Et si ces ouvrages ne sont pas vendus, cela va tenir trop de la place. Ce n'est pas aussi simple que ça de vouloir faire de la rentabilité en librairie car chaque librairie est différente, ce qui est vrai pour l'une ne l'est pas pour l'autre.

Peux-tu dresser un bilan après 10 années d'ouverture ? par rapport à ta librairie, dans ton métier ?

Je dirais que l'on connaît de plus en plus sa clientèle au fil des années, même si elle change. On a un noyau dur de clientèle fidèle que l'on connaît. On sait davantage ce qu'elle va aimer, ce que l'on va pouvoir lui proposer pour la surprendre, surtout avec des nouveaux romans. Tomber sur un Franck Bouysse ou « My Absolute Darling » de Gabriel Tallent il y a quelques années et se dire « Magnifique ». Pouvoir le proposer à la clientèle qui se l'approprie, fait du bouche-à-oreille… C'est génial ! La communication de la librairie est principalement passée par le bouche-à-oreille. La clientèle fait la meilleure des communications.

On essaie toujours de trouver les pépites, autre chose que les grosses parutions qui se vendront sans nous. Trouver un petit texte ou un roman, même d'une autrice ou d'auteur peu connu, suivre cette personne, c'est magnifique.

Dans la librairie, y a-t-il un équilibre qui te convient entre prescription et demande précise des client·es ?

Un peu plus de 60 % de la clientèle adulte sait ce qu'elle veut. Pour les enfants, on est bien en dessous ce qui est génial. Pour le petit pourcentage qui reste à proposer, il faut tenir compte de celles et ceux qui lisent peu, ou encore qui ont lu Levi ou Musso et veulent changer de lecture. C'est s'adapter, les écouter. Quand on parle avec les gens, on s'aperçoit que l'on a peut-être la possibilité d'aller vraiment vers une ou un autre auteur·rice, vers quelque chose que l'on a envie vraiment de proposer, de soutenir, de partager. C'est assez formidable. Ça permet de se dire que sur 10 ans, on a énormément évolué aussi parce que l'on arrive avec beaucoup plus d'assurance. On peut toujours se tromper, mais on a appris à l'accepter. Je pense que plus on prend de l’assurance dans ce métier, plus on peut proposer facilement.

Et d'un point de vue économique ?

C'est intéressant d'en parler aujourd'hui parce qu'on est dans une phase qui fait un petit peu peur. J'ai connu une année assez difficile l'année dernière, qui s'expliquait par une augmentation des charges, notamment de transport. Aujourd'hui, j'ai réduit la voilure sur le transport des livres, c'est-à-dire que je ne me fais plus livrer tous les jours. Le rallongement de certains délais de commande n'a pas été mal pris par la clientèle.

J'ai aussi moins commandé à l'office. Maintenant, une pile, cela peut être juste un livre, parce que je préfère avoir un exemplaire pour le jour de la parution, puis le recommander après vente. Avoir dix exemplaires d'un livre que je vends au bout de quatre ou cinq mois, désormais je ne le fais plus. J'ai donc repensé la méthode de travail à l'office, le réassort, c'est-à-dire passer peut-être plus vers les représentants pour avoir davantage de surremise et d'échéance, quitte à avoir certains livres un peu plus tard.

T'es-tu fait accompagner ?

L'an dernier, j'ai été accompagné par deux professionnelles de la librairie (Esther, Ma Petite librairie à Bourgoin-Jallieu et Marion, Déléguée de l'association Chez mon libraire). On a discuté longtemps, on a regardé ce qui pouvait être amélioré dans les grandes lignes, des pratiques à modifier. Cela a été une période d'autant plus compliquée que le livre n'était pas le bien le plus demandé, la culture était un peu délaissée par le grand public en temps de difficultés financières. Le prix du livre n'a pas augmenté l'année dernière, mais les charges augmentant, la marge était réduite. Et cette année, le livre de poche ayant augmenté un petit peu, on constate que le panier moyen a beaucoup baissé.

Une décennie de passion, une fête à partager

Façade extérieur de la librairie : zoom sur les détails de la fresque, notamment les visages des personnages voguant sur l'eau.

La façade de Bleue comme une orange prend vie avec ces personnages voguant sur l'eau © Chez mon libraire

Ce sont les 10 ans de la librairie : y a-t-il des événements prévus à cette occasion ?

J’adore que les librairies puissent proposer des temps forts. Pour les cinq ans de la librairie, on avait fait une fête. L'après-midi et le soir conjugués, on avait reçu 300 personnes. Cette année, ce sont les 10 ans de la librairie Bleue comme une orange, il faut les fêter ! Le 7 octobre, sur une demi-journée (après-midi et soirée), nous allons célébrer cet anniversaire avec des rencontres, des ateliers, des temps musicaux.

Pour les rencontres, j'ai imaginé un plateau local d'auteur·rices, d'illustrateur·rices notamment en BD avec la maison d'édition Jarjille à Saint-Etienne. Il y aura Deloupy, Maïa Prudhomme pour l'album Syrcé. Nous sommes en attente d'accord pour Zelba et d'autres auteur·rices de cette prestigieuse maison d'édition ! Sont invitées Jocelyn Millet et Fanny Gautheron, une illustratrice éthiquement géniale : elle essaie de travailler le plus possible sur du local pour créer et imprimer ses cartes, notamment sur du papier recyclé, du papier à planter. Elle s'intéresse à la personne qui lui demande un travail, le réalise dans son univers avec toutes ses touches personnelles. Sandie Moulager, qui crée des bijoux avec son entreprise Bijoux Meli Melow, animera aussi un atelier. Elle a souvent fait des animations de création d'objets en librairie avec les enfants. Des temps musicaux sont prévus, avec deux groupes locaux, Maria Pop par exemple. Et bien sûr un repas, une collation à partager !

L’objectif est de relier tous les éléments de la chaîne du livre, des équipes des maisons d’édition aux client·es !

Pour l'instant, on est en pourparlers pour que cette fête se tienne au Centre social de La Talaudière. Dans le Centre social, il y a une grande salle et des petites salles parfaites pour les animations, tenir des ateliers. Ce sera génial. Vous serez invité·es.

On a hâte !

Le programme des 10 ans de Bleue comme une orange est en ligne.
Découvrez les activités prévues pour cette journée.

MAJ : découvrez les images de la fête d'anniversaire de Bleue comme une orange.

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Propos recueillis par Chez Mon Libraire – Avril 2023

Bleue comme une orange
Année de création : 2012
Surface de la librairie : 60 m2
Stock moyen : 4 500 références
Nombre de personnes salariées : 2 salarié·es